La Justice est la pierre angulaire de toute démocratie. Elle représente le levier principal pour le développement de notre pays. Les investisseurs se manifesteront si leur confiance est acquise. Les citoyens évolueront normalement s’ils sont assurés que leurs droits les plus élémentaires sont garantis et le taux de criminalité baissera si des peines exemplaires sont requises et appliquées envers et contre tous ceux qui violent la loi.
Les observateurs nationaux et étrangers, les instances financières internationales, les politiciens (toutes tendances confondues) s’accordent sur la nécessité pour Haïti de disposer d’une Justice indépendante et efficace, à la mesure de ses ambitions politiques, économiques et sociales. Mais, cela ne pourra pas se faire avec des codes datant de 1835, un arsenal juridique presque vide et des Magistrats mal entretenus.
Malheureusement, les dirigeants ne sont pas de cet avis. Ils pensent que tous les Juges sont des corrompus et ne méritent pas d’être bien traités. Nous avons au sein de l’appareil judiciaire, tout comme au sein de l’Exécutif et du Parlement des voleurs en toge, des racketteurs en cravate et des pourvoyeurs pour qui les écritures ne sont pas lisibles.
Mais, nous en avons également de bons et fiers Magistrats qui instruisent opiniâtrement des affaires délicates et sulfureuses sans peur de prendre à rebrousse-poil quelques grands élus, notables ou criminels notoires. Nous avons des Magistrats insensibles au charme et à l’influence du pouvoir et de l’argent, allergiques aux compromis qui favorisent les carrières. Nous avons des Magistrats qui prennent parfois des décisions très courageuses, au moment même ou d’autres confrères alimentent le flot des positions obscurantistes.
Non, il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. Depuis toujours, la Justice et les hommes qui la servent loyalement ont toujours été discrets, trop discrets peut-être. Pourtant, leur rôle demeure aussi colossal que mal connu et, pour cette raison même, mal reconnu.
Dans la vie, on doit être cohérent dans ce qu’on fait, dit et défend. Si on sait que le remède contre la corruption est indiscutablement la punition ; alors, pourquoi gaspiller de l’argent dans des colloques de stratégie et autres campagnes de sensibilisation ? La solution est là, on n’a pas à enfoncer une porte déjà ouverte.
Le véritable problème c’est qu’en Haïti, tout est politique alors que dans d’autres pays, tout est juridique. Nos voisins dominicains viennent de nous donner l’exemple dans le dossier du nommé Amaral Duclona où c’est la Cour Suprême, et non le Ministère de la Justice ou la police, qui a décidé de l’extradition de ce dernier vers la France. Nous haïssons ce que font certaines personnes au nom de la République. Nous condamnons et dénonçons avec force ce qu’est devenue la justice au Cap-Haitien…toutes ces affaires jugées avec parti-pris ou classées sans suite, parce que ‘’selon que vous serez riche ou pauvre…’’
Le puissant et le misérable ne sont plus égaux devant la loi par les temps qui courent. Ceux qui ont de l’argent ou un titre nobiliaire ont toujours raison et ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre sont toujours coupables. Seuls les indigents commettent des infractions. Allez faire un tour dans les prisons, visitez les cellules, consultez les répertoires de condamnations et vous verrez.
Le plus triste dans tout cela, les décisions de nos tribunaux ne donnent pratiquement pas lieu à débat. Au niveau universitaire, le commentaire ‘’d’Arrêt‘’ semble être passé de mode ; sûrement du fait des difficultés techniques et intellectuelles qu’il soulève. Avouons toutefois que la disparition du ‘’Bulletin des Arrêts’’ de la Cour de Cassation a contribué à cette situation. Ainsi va la Justice !
Nous sommes à quelques jours de Noël, et jamais cette période traditionnellement de fête ne nous a paru commencer de manière plus cruelle ni plus triste pour la Magistrature. 20 décembre 2007 – 20 décembre 2009. Bientôt deux ans depuis la publication des lois portant sur le Statut des Magistrats, le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et l’École de la Magistrature dans le journal officiel de la République. Deux ans depuis que les Juges attendent impatiemment l’arrivée du Père Noël au Palais de Justice… tandis qu’on réveillonne tous les soirs de l’autre côté du Champ de Mars. Décidément, la Présidence montre une belle constance dans son hostilité aux Magistrats et à la réforme judiciaire. Et, il faut être vraiment aveugle pour ne pas voir ce qui se trame. Triste noël, en vérité, des Magistrats !
Heidi FORTUNÉ
Magistrat, Juge d’Instruction
Cap-Haïtien, Haïti
Ce 13 décembre 2009
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